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Aides d’État et libre concurrence : la compagnie Ryanair et le syndicat mixte exploitant de l’aéroport de Béziers dans le viseur de la Commission européenne

Affaires - Droit économique
Public - Droit public des affaires
16/03/2020
Par un communiqué de presse en date du 2 mars 2020, la Commission européenne annonce l’ouverture d’une enquête approfondie sur la conformité au droit de l’Union des aides publiques au fonctionnement octroyées à l’exploitant de l’aéroport régional de Béziers, et des accords conclus avec la compagnie Ryanair.
Rédigé sous la direction de Claudie Boiteau, en partenariat avec le Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris-Dauphine


Point de jonction avec les métropoles européennes voisines, l’aéroport régional de Béziers-Cap d’Agde a bénéficié d’un trafic supérieur à 267 000 passagers au cours de l’année 2019, ce qui le place nettement dans la frange haute des aéroports les plus fréquentés de France. Il était antérieurement détenu et exploité par la CCI de Béziers Saint-Pons de 2007 à 2011. Depuis lors, il est passé sous la gouvernance du syndicat mixte « Pôle aéroportuaire Béziers Cap d’Adge Hérault-Occitanie », ce dernier étant exclusivement composé de personnes publiques.
 
À la suite d’une plainte déposée par Air France, en application de l’article 24 du règlement de procédure (UE) n° 2015/1589 du Conseil du 13 juillet 2015, la Commission européenne a décidé d’enquêter sur les aides au fonctionnement attribuées aux opérateurs exploitants, depuis 2007, ainsi que sur les accords de services aéroportuaires et de commercialisation contractés par ces derniers avec la compagnie low-cost Ryanair.
 
Si la plainte était initialement dirigée à l’encontre de l’ensemble des compagnies low-cost opérantes et des aéroports les aidant, l’évaluation préliminaire menée par la Commission l’a conduite à se concentrer sur le cas de Ryanair, seul opérateur régulier avec neuf routes proposées à l’été 2019.
 
En droit, le régime matériel et procédural des aides d’État est fixé aux articles 107 et 108 du TFUE, dont il résulte notamment un principe d’interdiction des aides ayant un effet perturbateur sur les échanges commerciaux du marché intérieur, et une obligation de notification préalable à la Commission s’agissant de celles potentiellement compatibles.
 
En matière aéroportuaire s’appliquent également les lignes directrices de la Commission, dans leur version en vigueur en date de 2014, sur les aides publiques en faveur des aéroports et des compagnies aériennes. Dans un objectif de développement de la mobilité européenne et d’équilibrage entre les investissements publics et privés, celles-ci fixent notamment un régime spécial autorisant, pendant dix ans et sous conditions, l’octroi d’aides au fonctionnement des aéroports régionaux (moins de trois millions de passagers par an), et d’aides au démarrage de l’activité des compagnies aériennes ouvrant de nouvelles liaisons.
 
Il s’agit d’accompagner la libéralisation du transport aérien initiée en 1997, et de remédier à l’enclavement territorial de certaines régions, en permettant aux aéroports publics régionaux de proposer aux compagnies des montants de redevance faibles, de nature à stimuler le trafic.
 
Toutefois, le test de l’investisseur avisé en économie de marché demeure et permet, le cas échéant, d’exclure ab initio la qualification d’aide d’État, et avec elle, l’applicabilité d’un régime complexe.
 
La Commission s’interroge en l’espèce sur la compatibilité des aides au fonctionnement avec le marché intérieur, ce qui la conduit à apprécier la série de critères traditionnels : implication et imputabilité à l’État dans l’attribution d’un avantage sélectif indu, susceptible d’affecter les échanges entre les États membres, faussant ou menaçant de fausser la concurrence.
 
S’agissant de Ryanair, l’enquête porte précisément sur divers accords de services aéroportuaires conclus depuis 2007 avec le précédent exploitant, et sur certains accords de commercialisation en date de 2009, contractés avec l’actuel syndicat mixte.
 
D’un point de vue procédural, la Commission prend soin de souligner que « l’ouverture d’une enquête donne la possibilité aux tiers intéressés de faire part de leurs observations. Elle ne préjuge en rien de l’issue de l’enquête ».
 
Sa mise en œuvre témoigne cependant du caractère hautement sensible de l’espèce, tant en termes stratégiques que financiers.
 
En effet, les faits s’inscrivent dans la foulée du communiqué en date du 2 août 2019 (Aides d’État : La France doit récupérer 8,5 millions d’euros d’aides illégales octroyées à Ryanair à l’aéroport de Montpellier), par lequel la Commission a conclu, au terme d’une précédente enquête, à l’illégalité et l’incompatibilité de 8,5 millions d’euros d’aides, octroyées à Ryanair pour promouvoir l’aéroport de Montpellier à travers des contrats de services.
 
Si l’enjeu colossal de récupération des aides incompatibles intéresse évidemment les personnes publiques, le maniement du paragraphe 2 de l’article 24, du règlement de procédure précité (« Toute partie intéressée peut déposer une plainte pour informer la Commission de toute aide présumée illégale ou de toute application présumée abusive d'une aide. »), par les opérateurs concurrents, témoigne d’une appropriation par les acteurs privés du droit des aides d’État, désormais partie intégrante de la politique concurrentielle des entreprises.
 
Affaire à suivre !
 
Pour aller plus loin
Pour des développements détaillés en matière d’aides d’État sous l’angle privé, voir Le Lamy Droit économique, nos 2210 et suivants.
Pour des développements détaillés en matière d’aides d’État sous l’angle public, voir Le Lamy Droit public des affaires, nos 775 et suivants.
 
Marie Guéna
Source : Actualités du droit